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FFC Robotique : Fédérer les clusters pour structurer la filière robotique française

Par O. Abdelwahd · Publié le 20 août 2025

FFC Robotique

La Fédération Française des Clusters de la Robotique (FFC Robotique) joue un rôle central dans le développement de la filière robotique en France en fédérant les clusters régionaux autour d’une vision commune : dynamiser l’écosystème national tout en valorisant les expertises locales. À travers la mutualisation des expériences, le soutien aux entreprises innovantes, la promotion internationale et la coopération avec les acteurs de la recherche et de la formation, la fédération s’impose comme un pilier stratégique pour l’avenir de la robotique française. Membre fondatrice du Global Robot Cluster depuis 2018, elle participe activement au rayonnement de notre savoir-faire à l’échelle mondiale. Pour mieux comprendre les ambitions, les missions et les perspectives de cette fédération influente, nous avons l’honneur de nous entretenir avec Philippe Roussel, Délégué général de la FFC Robotique.

Un rôle de coordination pour mieux accompagner l’écosystème

La FFC Robotique agit avant tout en tant que fédération de clusters. Ce sont ces clusters, qu’ils soient régionaux ou thématiques, qui assurent le lien direct avec les entreprises, start-ups, écoles ou laboratoires. Mais en coordonnant des actions mutualisées à l’échelle nationale, la FFC Robotique permet à ces structures de mieux accompagner leurs membres.

« Par exemple, en négociant avec les organisateurs de salons professionnels, nous mettons en place des pavillons mutualisés. Cela permet aux entreprises affiliées aux clusters de bénéficier de conditions financières avantageuses, tout en gagnant en visibilité sur de grands stands regroupant plusieurs acteurs du secteur. »

Son rôle est donc de créer des conditions favorables pour les entreprises à travers ses membres.

Pas une offre de services, mais des projets collectifs

La FFC Robotique ne propose pas de services « clés en main », mais agit comme une plateforme de collaboration entre clusters :

« Nous décidons ensemble, entre représentants des clusters, les actions que nous souhaitons mutualiser et nous les mettons en œuvre. »
« La FFC Robotique n’a aucun personnel permanent, c’est une instance où les clusters partagent des projets et s’organisent entre eux pour les mettre en œuvre. »

Ce fonctionnement « frugal » est un choix assumé depuis la création de la fédération :

« Notre difficulté est donc d’assurer une présence permanente et soutenue, nous sommes plus des coordinateurs de projets. »

Mutualiser les initiatives… jusqu’à l’international

Pour favoriser les collaborations entre régions, la FFC Robotique partage les feuilles de route et les programmes d’actions de ses membres :

« Cela permet à nos entreprises respectives de profiter de l’ensemble des actions mises en place par tous les clusters français. »

Et à l’international ? La fédération a cofondé en 2018 le Global Robot Cluster (GRC) :

« Le siège est basé à Daegu, en Corée du Sud. Les Coréens occupent la présidence, et la FFC Robotique la vice-présidence aux côtés des USA et de Singapour. Le GRC nous permet d’être en contact avec les 28 autres pays participants et d’établir des mises en relations entre des entreprises. »

Un rôle discret mais central

Bien que la FFC Robotique n’ait pas vocation à occuper le devant de la scène, elle joue un rôle stratégique auprès des pouvoirs publics :

« Nous sommes en contact avec les ministères auxquels nous apportons des informations sur l’état du marché, les attentes des entreprises, et nous donnons des avis sur les projets qu’ils nous proposent d’évaluer. »

Elle est également en lien étroit avec la DGSI, en particulier dans le cadre du programme France 2030, coordonné par Bruno Bonnell.

« Bruno Bonnell est un ancien chef d’entreprise de la robotique qui a inspiré la création des clusters en France à l’époque où il présidait le syndicat de la robotique de service SYROBO. »

Des actions structurantes déjà en place

La FFC Robotique a initié plusieurs actions concrètes et visibles. Parmi ces initiatives, la fédération organise régulièrement une participation collective à de grands salons industriels, tels que Global Industrie, SEPEM ou encore SIANE. Ces événements offrent une vitrine précieuse pour les entreprises robotiques françaises, leur permettant de gagner en visibilité et de créer des synergies.

Dans une logique de soutien à la croissance économique du secteur, la FFC Robotique a également lancé Rob’Invest, un format de rencontres ciblées entre porteurs de projets robotiques et investisseurs privés. Objectif : faciliter les levées de fonds et encourager le développement de solutions innovantes sur le territoire.

Enfin, consciente des besoins spécifiques du secteur du bâtiment, la fédération a engagé des partenariats avec la Fédération Française du Bâtiment (FFB) pour favoriser l’introduction progressive de la robotique dans ce domaine. Ces collaborations prennent notamment la forme de déclinaisons régionales, afin de répondre au plus près aux réalités du terrain et aux enjeux de chaque territoire.

Elle soutient aussi la création de filières sectorielles :

« Le développement d’une filière nationale de la robotique médicale, portée par le cluster Robotics Place avec la création du réseau MED Robotics Place. » et « Le développement d’une filière nationale pour le secteur spatial est en cours. »

Des projets de mutualisation technique sont aussi en cours, comme la négociation collective pour les batteries adaptées aux robots mobiles ou la création du Comité Robotique France 2030 porté par le cluster Aquitaine Robotique.

Une structure déléguée et évolutive

N’ayant pas de structure centralisée, la fédération évolue vers plus de délégation.

« Nous évoluons vers la délégation de certains programmes à nos clusters qui les prennent en charge au niveau national pour la fédération. »

Plusieurs initiatives illustrent ce mode de fonctionnement décentralisé. Le cluster Robotics Place pilote par exemple le programme MED Robotics Place, axé sur les applications médicales de la robotique. De leur côté, les pavillons mutualisés sur les salons professionnels sont désormais organisés par le Réseau 3R. Enfin, le Comité Robotique France 2030, chargé de structurer la filière dans le cadre du plan national, est animé par Aquitaine Robotics, renforçant ainsi la capacité des clusters à porter des projets d’envergure.

Car dès l’origine, la FFC Robotique s’est pensée comme une structure au service des clusters, sans volonté de centralisation.

« Pour mieux comprendre le fonctionnement de la FFC Robotique, il faut savoir qu’elle a été créée par les clusters. Les clusters existaient avant la FFC Robotique, chacun avait sa propre origine, ses propres priorités, sa propre stratégie. Nous nous sommes réunis pour mutualiser des actions et donner plus de visibilité au niveau national à notre filière. »

Quelle place pour l’action publique ?

Si la robotique française se développe grâce à la vitalité de ses entreprises et de ses clusters, la question du soutien public reste sensible.

« L’État promeut la robotique ? Nous n’avons pas vu. En Corée du Sud, ils investissent l’équivalent d’1,5 milliard d’euros dans le développement d’une zone de test sur 16 hectares à Daegu. Quel est le budget de l’État français sur la robotique ? »

Face à ce constat, ce sont surtout les collectivités régionales qui accompagnent les dynamiques locales, avec des niveaux d’implication très variables selon les territoires.

« Les clusters régionaux sont accompagnés par leurs Conseils Régionaux à des niveaux qui dépendent de chaque région. La région qui investit le plus est probablement les Pays de la Loire, avec une structure importante pour le cluster Proxinnov. »

Former, sensibiliser, convaincre : les autres missions de la fédération

La FFC Robotique accorde une attention particulière à la formation et à la sensibilisation des jeunes talents, en s’assurant que les compétences enseignées soient en adéquation avec les besoins du secteur.

« Nous travaillons avec les écoles pour les aider à placer les étudiants en stage ou en alternance et pour s’assurer que leurs programmes sont alignés avec les besoins des entreprises et les évolutions de la technologie. »

Cette collaboration va jusqu’à l’intégration des établissements éducatifs dans la gouvernance même des clusters :

« Chez Robotics Place, un poste de Vice-Président est systématiquement réservé à un représentant des écoles au sens large. »

Malgré ces efforts de sensibilisation, l’image de la robotique auprès du grand public reste ambivalente, souvent teintée de méfiance.

« Sur les réseaux sociaux, c’est assez surprenant de voir encore et encore des commentaires négatifs sur la robotique, essentiellement sur la thématique des robots qui ‘volent’ l’emploi des personnes. »

Pourtant, les expériences concrètes tendent à contredire ces idées reçues. Une étude menée à Toulouse apporte un éclairage intéressant :

« Un chercheur en sociologie de l’Icam a réalisé une étude sur la perception du public dans les restaurants qui utilisent des robots de service. […] La grande majorité des personnes qui sont allées dans ces restaurants trouvent cela sympathique, utile, agréable… Les commentaires des personnes qui ne sont pas allées dans ces restaurants sont majoritairement négatifs. »

D'entrepreneur à fédérateur

L’engagement de Philippe Roussel pour structurer l’écosystème robotique français prend racine dans sa propre trajectoire entrepreneuriale.

« J’ai créé une start-up de robotique en 2012 et à l’époque je ne connaissais personne dans ce secteur. J’ai ressenti le besoin d’échanger avec d’autres entrepreneurs, de partager des informations, de me jauger. Ayant un profil marketing et ayant dans une précédente expérience professionnelle expérimenté l’intérêt des associations professionnelles, j’ai rapidement proposé aux professionnels avec lesquels j’ai échangé de nous réunir. J’ai eu l’impression d’avoir été le catalyseur d’une réaction chimique qui n’attendait que ça pour se déclencher. Le premier cluster régional Français, Robotics Place, est né en quelques semaines et a inspiré d’autres régions / entreprises à faire de même. Le reste a été le résultat des rencontres avec des gens passionnés par leur métier, que ce soit au niveau régional, national ou international.»

Parmi les actions les plus structurantes portées par la FFC Robotique, la création du Global Robot Cluster (GRC) reste un point de fierté.

« Je pense que notre implication dès le début dans la création du GRC est une réalisation majeure. Nous avons contribué à unir 28 pays autours de la robotique et nous apportons régulièrement des idées nouvelles et de nouveaux membres à cette structure. Même si l’idée originale revient aux Coréens, notre implication a été très importante.»

Derrière cette réussite collective, c’est aussi une aventure humaine, marquée par la nécessité de rassembler des acteurs très différents autour d’une vision commune.

« Comme dans toute organisation associative, c’est une histoire de personnes, d’écoute et d’attention. Il faut savoir accepter les différences de chacun et s’appuyer sur ce que nous avons en commun pour avancer. »

Mais cela implique aussi un engagement sur le long terme :

« Ce qui est difficile dans les associations, c’est de durer. Il faut rester motivé et disponible pendant des mois et des années. »

Les Perspectives

La fédération regarde déjà vers de nouvelles filières robotiques à structurer ensemble.

« Le médical, c’est en cours avec MED Robotics Place. Le spatial se développe. Le nucléaire a des besoins importants, particulièrement en France. Le bâtiment souffre du manque de personnel, de la pénibilité et du manque de productivité. »

L’ambition à long terme est claire :

« Notre ambition est d’accompagner les entreprises de robotique françaises dans leur développement pour atteindre des envergures internationales. »

Mais ce rêve bute encore sur un frein majeur :

« Le principal frein au développement, c’est le manque d’investissement privé. […] La plupart du temps, ce sont des capitaux étrangers, principalement américains, qui récupèrent les fruits du savoir-faire français. »

La France conserve des atouts majeurs dans certains domaines stratégiques de la robotique, qui renforcent sa crédibilité sur la scène internationale.

« Nous sommes très bien positionnés sur la robotique médicale. Nous sommes le 3ᵉ pays au monde derrière les USA et la Chine en nombre d’entreprises de robotique médicale alors que notre pays est beaucoup plus petit. Nous sommes les premiers au niveau européen. »
« Notre recherche académique est également au premier rang mondial avec des laboratoires de renommée internationale. »

Ces points forts nourrissent un secteur qui, malgré les tensions économiques actuelles, reste particulièrement dynamique.

« La filière se développe très bien avec beaucoup de start-ups très inventives. Les besoins sont énormes et nous avons besoin de beaucoup de jeunes dans nos filières de formation pour répondre à la demande. Même si la filière industrielle connaît depuis quelques mois une légère tension liée à l’environnement international, il y a tant de projets à créer encore. »